Côte d’Ivoire : pourquoi le prix des médicaments augmentent?

19 mai 2014

Côte d’Ivoire : pourquoi le prix des médicaments augmentent?

Ces dernières semaines, plusieurs journaux ivoiriens ont relayé l’information selon laquelle les prix des médicaments dans les officines pharmaceutiques seraient en hausse. Dans une enquête du journal Soir Info, on apprend que  l’ampoule de l’amikacine est passée de 2960 francs à 3500 francs Cfa dans plusieurs pharmacies visitées dans la capitale économique, à San Pedro et Bondoukou. Le métronidazole injection n’est plus vendue à 1080 francs Cfa, l’unité. Elle est désormais offerte dans plusieurs pharmacies entre 1100 francs et 2000 francs.  Depuis, les spéculations sont nombreuses et tentent d’expliquer cette hausse. Pour  éclairer la lanterne de chacun, je vous propose au moins trois raisons qui peuvent expliquer la cherté des médicaments en général.

Raison 1 : Webb Fontaine

Webb Fontaine

C’est le 6 Mars 2013 que l’État ivoirien a, comme on peut le lire sur le site de la compagnie suisse, « désigné » Webb Fontaine pour gérer le guichet unique du commerce extérieur de la Côte d’Ivoire. Par « désigné » il faut comprendre que ce marché de plusieurs milliards de F Cfa a été octroyé au gré à gré, sans appel d’offre donc, à Webb Fontaine, accessoirement dirigé par un certain Benedict Senger, lui même accessoirement gendre du Chef de l’État, Alassane Ouattara. Mais bon, c’est peut être juste une coïncidence. Voila le décor. Une fois installé, Webb Fontaine au bout de six mois, décide de faire passer le prix de traitement des conteneurs de médicaments dans les Ports  de 120.000 fcfa par conteneur à 1.500.000 fcfa désormais. Ainsi, les principaux grossistes ivoiriens que sont Laborex, Copharmed et Dpci sont obligés de répercuter cette hausse fulgurante sur leurs prix. Résultat : les prix flambent!

Raison 2 : Eurimex Pharma

Les trois principaux grossistes que sont Laborex, Copharmed et Dpci  qui bénéficient eux même d’un monopole sur l’exportation des médicaments en Côte d’Ivoire ( ils ne sont donc pas totalement innocents dans l’affaire ) s’approvisionnent eux auprès d’Eurimex Pharma. Eurimex Pharma n’est pas un laboratoire médical. Non. Eurimex Pharma c’est juste une entreprise de stockage de médicaments.  Comment ça marche? Eh bien, Eurimex Pharma signent des contrats d’achat de médicaments avec 600 laboratoires dans le monde, essentiellement en Asie et en Europe. Eurimex Pharma, stocke ensuite ces médicaments dans ses entrepôts, en attendant que Laborex, Copharmed et Dpci  viennent les acheter avec elle.  La question qu’on se pose tout de suite c’est : pourquoi Laborex, Copharmed et Dpci n’achètent pas directement les médicaments auprès des laboratoires Asiatiques et Européens? Ou alors, pourquoi la Pharmacie de la Santé Publique Ivoirienne n’en fait pas autant ? Pourquoi dans toute la chaîne, tout le monde préfère s’en remettre au grand frère Eurimex Pharma.

Sur l’illustration ci dessous, on peut voir les flux imports et exports du groupe Eurimex Pharma.  Le constat est sans appel : une seule flèche indique les importations, essentiellement d’Asie plus particulièrement d’Inde. Par contre, pour que qui est des exportations, il apparaît qu’ Eurimex Pharma est le distributeur exclusif de plusieurs pays africains dont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Gabon, le Mali, le Sénégal, le Niger et …la Côte d’Ivoire.

La principale conséquence est que tout au long de cette chaîne, Eurimex Pharma ajoute ses marges sur les prix des médicaments qu’elles entreposent. De fait, ces médicaments reviennent un peu plus chers au grossistes Ivoiriens, qui a leur tour y ajouteront leurs marges. Quand elles revendent ces médicaments aux officines pharmaceutiques, elles aussi rajoutent leurs marges. Au final, c’est le consommateur qui paie la facture pendant que l’État continue d’accorder un monopole aux trois grossistes Laborex, Copharmed et Dpci et qu’eux à leur tour continuent de traiter avec Eurimex Pharma contribuant ainsi à consolider le monopole de cette dernière.  Bref, de monopole en monopole, les prix grimpent.

Réseau de distribution d'Eurimex Pharma
Réseau de distribution d’Eurimex Pharma

 

Raison 3 : l’administration des prix des médicaments par l’Etat

Raymonde-Goudou-COFFIE, Ministre de la Santé
Raymonde-Goudou-COFFIE, Ministre de la Santé

En matière de commerce des produits pharmaceutique il n’y a pas la libre concurrence comme nous l’avons démontrés dans les deux points précédents.  Pour boucler la boucle dans cette chaîne de monopole et d’étatisme, c’est l’ État de Côte d’Ivoire qui fixe les prix de vente des médicaments, comme il le fait d’ailleurs pour le café et le cacao.

C’est la Direction de la Pharmacie et du Médicament qui se charge de l’affaire. Elle réceptionne les dossiers des grossistes (Laborex, Copharmed et Dpci) , dossiers dans lequel ceux la indiquent le prix hors taxe auquel ils achètent à leur fournisseur (Eurimex Pharma). Or, à ce niveau le fournisseur Eurimex a déjà ajouté sa marge. L’ État apprécie ensuite ce prix et après y avoir ajouté sa marge (impôts et autres taxes) fixe un prix homologué qu’il impose aux grossistes puis aux pharmacies . Sauf que le prix homologué par l’ État ne tient pas compte de la marge des grossistes et des pharmacies. Ainsi, ces derniers, en sus du prix homologués par l’ État, ajoutent quand même leur marge pour tenir compte de l’augmentation des tarifs de Webb Fontaine qui sont passés de 120.000 fca à 1.500.000 fca par conteneur. Au final, le prix homologué fixé par l’ État n’est respecté par personne. Ce qui expliquent que les prix des produits pharmaceutiques varient d’une pharmacie à l’autre. 

Que faire?

Mettre fin aux monopoles! Les monopoles de Laborex, Copharmed et Dpci doivent cesser. L’ État devrait ouvrir le marché de l’importation à d’autres entreprises pour permettre la libre concurrence dans le domaine. Plus il y aura d’importateurs, plus les fournisseurs se diversifieront. La fin de ce premier monopole permettra de mettre fin au second, celui d’Eurimex Pharma. Ouvrir le marché des médicaments permettra aux nouveaux acteurs de s’approvisionner directement après des laboratoires Européens ou Indiens sans passer par la case Eurimex. Le coût de revient s’en trouvera diminuer, et les prix dans les officines iront également à la baisse. Enfin, L’ État doit clarifier la situation de Webb Fontaine. Le gré à gré dont bénéficie cette entreprise a conduit à une augmentation drastique des prix de traitement des conteneurs à médicaments dans les ports. Là encore, il faudra mettre fin à ce gré à gré, rouvrir le marché de la gestion des terminaux portuaires pour pouvoir confronter l’offre de Webb Fontaine à celle d’autres opérateurs.

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